La violence peut se définir comme une contrainte physique et/ou psychologique, voire spirituelle, exercée ou subie. On peut distinguer une violence dite naturelle : un tremblement de terre ou une irruption volcanique par exemple, d’une autre dite culturelle en tant qu’elle résulte d’actions proprement humaines. C’est le cas d’un vol, d’un viol ou d’un meurtre. La violence culturelle peut être d’origine physique, morale, économique, politique, culturelle, intellectuelle, psychique, religieuse ou même spirituelle…dans le cas de l’emprise par exemple.
La violence est au cœur de la vie humaine. Elle résulte probablement de l’instinct de survie (lutte contre les éléments, lutte contre les autres), des besoins inhérents à l’animal. Les besoins, en particuliers, ceux qui sont primaires, sont universels et nécessitent satisfaction. La volonté de les satisfaire peut conduire à la violence. La violence est bonne quand elle est au service de la vie. Elle est mauvaise, quand elle est détournée de son usage positif pour se mettre au service de la mort. Cela étant, s’il arrive qu’on soit généralement impuissant à maîtriser la violence naturelle, on peut agir pour limiter certains types de violences culturelles (comme voler, violer, tuer), qui sont d’ailleurs souvent finalement inefficaces quand bien même ils peuvent donner l’impression d’avoir permis de l’emporter dans l’immédiat.
Qui n’a pas entendu parler des Vandales sous les coups desquels l’empire romain d’Occident s’est effondré? Les Romains évoquaient avec horreur ces peuplades sauvages du Nord de l’Europe : «Pictes, Calédoniens, Saxons, Frisons, Francs, Alamans, Burgondes, Marcomans, Quades, Lygiens, Vandales, Juthunges, Gépides, Goths, Jazigues, Roxolans, Alains, Bastarnes, Scythes, Borains, Hérules, Huns, Lombards, Normands, Hongrois»; des gens étrangers aux mœurs romaines. Mais voilà-t-il pas qu’ils ont fait irruption dans l’empire et ont sonné les glas de certaines façons de vivre et de faire, que l’on croyait alors éternelles. Des Romains,
tremblants de panique, dans leur fuite et dans leur désespoir, croyaient qu’il s’agissait de la fin du monde.
Ne se souviendrait-on pas de ces brigands notoires, des meurtriers tel le mongol Gengis Khan au XIIe-XIIIe siècle ou le turco-mongol Tamerlan au XIVe-XVe siècle qui, en leur temps, ont promené la guerre, ravageant une partie du monde et causant beaucoup de dégâts matériels et de pertes en vies humaines?
Oublierons-nous un jour les Talibans et les deux bouddhas afghans sculptés entre le IIIe et le IVe siècle dans des pierres géantes à même les parois de la montagne de Bamiyan et que ces bandits ont cassés en mars 2001 sous prétexte de lutte contre l’idolâtrie?
En 2014, on s’en souvient, Daech envahit l’Irak et occupe le tiers de la ville sur fond de dissolution de l’armée sunnite de Saddam auparavant proclamée par les USA. Ces militaires lâchés dans la nature avaient rejoint le Daech de Zarqawi qui, désormais, avait fait allégeance à Al-Qaïda. Zarqawi attaque alors les chiites d’Irak par des attentats, pour les acculer à réagir contre les sunnites et ainsi provoquer une guerre civile. Son calcul réussit. Et beaucoup de sunnites l’on rejoint de partout. Son but ultime : rétablir le califat et donc un macro-état islamique. Tué par les militaires états-uniens, il est remplacé dans son rôle de leader par Abou Bakr al-Baghdadi, un docteur en philosophie (qui se prétendait être de la descendance de Mahomet), et ses idées d’un califat continuaient de faire leur chemin. De plus en plus de fanatiques musulmans rejoignent le mouvement, qui est devenu plus important qu’Al-Qaïda. Al-Bagdadi parvint à créer l’État islamique voulu par le feu Zarqawi sur fond de guerre civile en Syrie, et en établit le centre à Raqa. La terreur s’installe non seulement en Syrie et à Bagdad mais dans le monde occidental avec les attentats sanglants répétitifs. En octobre 2019, alors que Donald Trump est menacé par un processus d’empeachment aux États-Unis, l’ordre est donné de maîtriser al-Baghdadi. Acculé, ce dernier active son gilet explosif, et s’est suicidé.
N’avons-nous pas encore en mémoire les jeunes filles nigérianes enlevées par le Boko Haram? Ce groupe islamiste nigérian, qui aurait fait obédience à Daech, s’est formé en 2002 (certains disent 2003) alors que quelques jeunes musulmans nigérians avaient commencé à médire de l’éducation occidentale qu’ils avaient reçue. Ils brûlèrent leur diplôme et invitèrent d’autres musulmans qui avaient, comme eux, bénéficié d’une éducation occidentale à faire de même. Depuis, ils avaient fait des adeptes et s’étaient organisés. Ils fermèrent manu militari des écoles, menacèrent et tuèrent. En 2014, à la faveur de la nuit, le groupe débarqua dans un pensionnat de jeunes filles et enlevèrent de force plusieurs centaines de lycéennes pensionnaires pour en faire des esclaves sexuels. Certaines de ces jeunes filles ont été relâchées en 2016 avec des enfants sur les bras…
En Haïti, nous nous souvenons des nombreuses victimes du régime de Duvalier et d’autres encore. Nous nous souvenons de la bibliothèque du Grand Séminaire vandalisée au début des années 1960 dans le contexte de la fermeture de force de cette institution et de l’expulsion des Pères jésuites qui y enseignaient. François Duvalier les avait accusés de s’être mêlés de politique.
À la chute du régime, le massacre lors des élections de 1987, à Port-au-Prince, à la ruelle Vaillant, a empêché l’accès au pouvoir de Gérard Gourgue, et a forcé la population à devoir supporter des gouvernements qu’elle n’avait pas souhaités, mais on n’a pas pu lui empêcher les élections démocratiques de 1990.
Certes le coup-d’État de 1991 a fait beaucoup de victimes, le pseudo embargo commercial qui fut imposé a grevé l’économie du pays, mais malgré le tremblement de terre de 2010, malgré le choléra qui s’ensuivit, malgré l’absence du moindre signe d’une possible reconstruction, malgré des autorités politiques imposées, le peuple refuse de jeter l’éponge. Haïti résiste, se débat et refuse toujours de mourir.
Toujours suivant cette logique de violence et d’obscurantisme, on a commencé, dans le contexte du coup d’état contre Aristide en 2004, par saccager le musée du Panthéon National sous prétexte de lutte contre le vodou. Et tout récemment, à la suite de l’assassinat crapuleux de M. Jovenel Moïse, alors président en Haïti, des bandits sanguinaires se sont mis à violer des jeunes étudiantes. Ils ont séquestré, assassiné des professeurs, des médecins…, ils ont perpétré des crimes de masse et provoqué des déplacements de population, de la famine et autres traumatismes.
Après avoir bloqué des routes, violé, tué, évoluant à partir de leur tactique, ils ont pris pour cible des institutions symboliques comme: la Faculté d’Agronomie, l’École Nationale des Arts, l’École Normale supérieure, l’Institut National d’Administration de Gestion et des Hautes Études Internationales (INAGHEI), le Petit Séminaire Collège Saint Martial, la Faculté de médecine, certains Laboratoires de productions pharmaceutiques, la Bibliothèque Nationale, les Presses Nationales, la liste est longue. Toutes ont été saccagées ou elles ont disparu dans les flammes. On se demande pourquoi tant de violences, quel intérêt aurait-on à s’en prendre à la vie humaine, à brûler des écoles et facultés, la Bibliothèque et les Presses Nationales d’un pays?
Haïti a longtemps été un berceau de culture dans la Caraïbe. Après avoir fait venir de France des professeurs pendant toute la fin du XIXe siècle, après avoir eu, au milieu du XXe siècle, la visite de Jean-Paul Sartre, de Jacques Maritain, et l’enseignement d’Aimé Césaire et de tant d’autres, Haïti a exporté des professeurs au Québec, au Congo et d’autres pays africains. Le pays avait une production littéraire et artistique (arts et musique) abondante; une monnaie solide, la plus stable de la Caraïbe. Sa médecine, la section de la chirurgie en particulier, était un fleuron dans la zone avant l’irruption de la technologie. L’instabilité politique, la fuite des cerveaux et la détérioration de l’économie nationale ont fait qu’elle n’a pas pu suivre le mouvement et rester fidèle à ce passé.
Le monde a survécu aux invasions barbares. Khan et Tamerlan comme les bandes de mercenaires d’ailleurs qui étaient à leur service ne sont plus. Comme toujours, un certain ordre a succédé au désordre. Des vandales aux islamistes afghans, nigérians ou autres en passant par Khan et Tamerlan, l’histoire ne se répète certes pas, en tout cas pas avec les mêmes acteurs ni les mêmes circonstances, mais il reste que certains événements présentent des analogies frappantes. L’histoire est une succession de bouleversements, de branle-bas, de désordres avec des éclaircies faites d’un semblant d’ordre. Le monde comme il va, comme l’écrivait déjà Voltaire; le monde, par-delà les violences humaines, comme il est toujours allé. Il est à user et non à abuser. Il est inutile et vain de forcer la marche de l’histoire.
est inutile