Les chroniques de Jorel François

Directeur du Centre Lacordaire

À propos d’Haïti

La Chronique de Juin

Ce mois d’octobre 2021, « Freda », un film de réalisation haïtienne, salué par plusieurs médias, mérite d’être signalé. Ce film est proposé sur les grands écrans simultanément au Bénin, en Haïti, et en France, où il est promu. Il est traversé par des thématiques comme le rapport homme/femme, celui du français/créole, du vodou/protestantisme et notamment celle de l’insécurité généralisée qui sévit dans le pays. La réalisatrice, Mme Gessica Genéus, comédienne, a étudié à Paris et il s’agit de son premier long-métrage.

Toujours sur le plan culturel, mais aussi historique et politique, une délégation d’Haïtiens vivant en Haïti, renforcés par d’autres vivant aux États-Unis, ont commémoré en Géorgie (USA) la participation de Noirs d’Haïti, appelée alors Saint-Domingue, à la bataille de Savannah survenue en 1779 alors que La Fayette, au nom de la France, apportait sa contribution aux efforts devant conduire à l’Indépendance desÉtats-Unis d’Amérique. La délégation a rencontré Van R. Johnson II, le Maire de la ville.

En Haïti, le projet de réforme de la Constitution orchestré par le feu président Jovenel Moise le 30 octobre 2020 par la mise en place d’un Comité Consultatif Indépendant présidé par Me Boniface Alexandre, ancien président de la Cour de Cassation et ancien chef d’État, semble être toujours en marche. Le comité a remis son rapport le 08 septembre dernier. L’aboutissement de cette réforme et la tenue d’élections prochaines semblent être même les deux points connus du programme de gouvernement de l’actuel premier ministre, Ariel Henry, qui avait fait une partie de ses études de médecine ici à Montpellier. Il semble aussi être question, à l’agenda, de justice à rendre au président assassiné, et d’insécurité, qui n’est pas une mince
affaire dans cette Port-au-Prince devenue un méga-bidonville suite à lamauvaise gestion des conséquences du tremblement de terre de 2010.

De même que toutes les autres constitutions antérieures, celle de 1987, officiellement en vigueur, n’a en réalité jamais été appliquée. Elle parait, de surcroit, assez inadaptée à la réalité sur place. Et la réforme elle-même actuellement en cours comme les tentatives de réforme faites auparavant ne semblent pas respecter les conditions demandées par la Constitution pour la réformer.

Sur fond d’insécurité et de crise migratoire, Mme Martine Moise, l’épouse du feu président de la République, le 6 octobre dernier, a répondu à la convocation et aux questions d’un juge à Port-au-Prince dans le cadre de l’enquête sur l’assassinat de son mari. À noter que l’actuel premier ministre, auparavant convoqué par la justice pour avoir correspondu à deux reprises dans la nuit de l’assassinat du chef d’État avec l’un des présumés assassins, avait démis le juge qui l’avait convoqué et révoqué le ministre de la justice, qui furent tous deux remplacés depuis. L
dossier à charge qui accusait le premier ministre a disparu des archives.

Par ailleurs, après avoir reconduit le statut de protection temporaire (TPS) d’une certaine catégorie de migrants (entre autres des Honduriens,  des Salvadoriens et des Haïtiens…) le 11septembre dernier, les USA se sont excusés le 1er octobre 2021 à Port-au-Prince en la personne des émissaires Brian Nichols (Secrétaire adjoint aux Affaires des Amériques) et Juan Gonzalez (Assistant Spécialde J. Biden) pour le traitement inhumain et scandaleux infligé aux migrants haïtiens sous le pont Del Rio cet été au Texas. En même temps qu’il aurait été intéressant d’en savoir davantage sur les implications concrètes de ces excuses, il convient de rappeler que beaucoup de ces migrants avaient toutefois été de force refoulés ou en Haiti (il y eut 150 vols environs vers Haiti) ou vers le Mexique qui, du coup en a profité pour demander de l’aide aux Nations-Unies pour la gestion de cette nouvelle situation – sachant que le Mexique aussi s’est mis à organiser des vols de rapatriement vers Haiti. Tout ceci vient s’ajouter à d’autres rapatriements réalisés par la Guadeloupe, la Martinique (et donc la France), les Bahamas ou, par voie terrestre et de manièreconstante par la République Dominicaine. Rien que pour le mois de
septembre dernier, ce dernier pays aurait refoulé à lui seul 35 000haïtiens vers Haïti au total.

Le 15 octobre dernier, le mandat du Bureau Intégré de l’ONU en Haïti (BINUH) arrivait à son terme. Après une intervention critique de la Chine à propos de l’efficacité de cette mission et du fait que peu d’autonomie soit laissée à Haïti alors que ce dernier élément est important pour sa stabilité, le mandat a été
reconduit jusqu’au 15 juillet 2022 soit pour une durée de neuf mois contrairement au douze mois souhaités par les États-Unis d’Amérique.

Le premier ministre haïtien, qui participait virtuellement à la réunion du Conseil de Sécurité de l’ONU où l’on discutait de la conjoncture du pays, parle de son côté, de « danger d’effondrement » pour Haiti.

Jorel FRANÇOIS