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Soeur Luisa

 

Sr Luisa Dell’Orto, est née à Lomagna (Italie) le 27 juin 1957. En 1982-1983 elle a enseigné l’Histoire de la philosophie au Liceo scientifico-classico Colleggio-Convitto – CELANA (Bergamo, Italie). Après sa maîtrise en philosophie à l’Université catholique du Sacré-Coeur à Milan, Italie, en 1984, elle a rejoint la communauté des Petites Soeurs de l’Évangile. Missionnaire au Caméroun chez les Pygmées, elle a formé des Catéchistes à Salapombe (Yokadouma, Cameroun), de 1987 à 1990. Elle a étudié la Théologie à l’École de la foi et des ministères de Fribourg, Suisse, de 1992 à 1994. Envoyée au Madagascar comme formatrice des postulantes, elle a enseigné aussi l’Ethique générale et spéciale au Grand Séminaire Interdiocésain – Haut-Plateau (Antsirabe, Madagascar), de 1997 à 2001. Arrivée en Haïti en 2002, elle a enseigné à l’Institut de Philosophie Saint François de Sales et au Grand-Séminaire Notre-Dame d’Haïti. Avec sa communauté elle s’est engagée dans la pastorale et l’accompagnement des enfants et des pauvres de Cité Aux Cayes – Cité Jérémie.

Exécutée par un franc-tireur qui l’attendait depuis 7:30 du matin, le samedi 25 juin 2022 vers 9:30, à la rue Delmas 19, Port-au-Prince (Haïti), Sr Luisa Dell’Orto est morte frappée en plein cœur par deux projectiles. C’était la fête du Cœur Immaculé de Marie, au lendemain de la Solennité du Sacré-Cœur de Jésus qui coïncidait cette année-là avec celle de la naissance de Saint Jean-Baptiste.

Qui a commandité cela? Qui l’a fait? Pourquoi? On ne lui connaissait aucun ennemi, elle, « sœur universelle » comme saint Charles de Foucauld, a été abattue comme son fondateur, simplement parce qu’elle avait choisi le Christ et son Evangile comme seule boussole de sa vie au milieu des pauvres.

 

 

« Heureux dès à présent ceux qui sont morts dans le Seigneur ! Oui, dit l’Esprit, qu’ils se reposent de leurs labeurs, car leurs œuvres les suivent. » (Ap 14,13)

« Et quand il ouvrit le cinquième sceau, je vis sous l’autel les âmes de ceux qui furent égorgés à cause de la parole de Dieu et du témoignage qu’ils avaient porté. Ils crièrent d’une voix forte : “Jusques à quand, Maître saint et vrai, resteras-tu sans juger, sans venger notre sang sur les habitants de la terre ?” Et il fut donné à chacun une robe blanche, et il leur fut dit de patienter encore quelque temps, jusqu’à ce que soient au complet leurs compagnons de service, leurs frères, qui allaient être tués comme eux. » (Ap 6,9-11)

 
  

 

Répondant à des questions du Bulletin Salésien d’Haïti (Don Bosco lakay nou), Sr Luisa nous a laissé un précieux témoignage sur sa vie, son parcours de missionnaire et ses convictions profondes.

https://www.salesienshaiti.org/don-bosco-lakay-nou-dbln-bulletin-salesien/ DBLN #44, Juin-Septembre 2018 – Ti Koze sou lavi nou (Sr Luisa), p. 6-9

 
  

 

  1. Qui est sr Luisa Dell’Orto ?

 

 

Je suis une femme née désormais le siècle passé dans un village au nord de Milan (Italie), de la douce et verdoyante région des lacs.

 

Troisième d’une famille de quatre enfants, j’ai grandi dans ce village en fréquentant l’oratorio de la paroisse où mes parents étaient bien engagés. La foi faisait un avec la vie quotidienne et marquait les choix, les décisions à prendre, le rythme des jours et de l’année.

 

Au moment des études secondaires d’autres horizons se sont ouverts puisque ce niveau de scolarisation était accessible dans une ville voisine où je devais me rendre en prenant le train. Tout était nouveau et tout était bien différent du village ; à ce grand changement s’ajoutaient les mouvements de protestation des années ’70-’80, la rencontre avec d’autres idéologies transmises par des professeurs choisissant d’autres options de vie. Beaucoup

d’interrogations pour ma foi et ma vie ecclésiale ont surgi, arrivant jusqu’à la demande : est-ce que Dieu existe vraiment ou il serait seulement une construction humaine comme d’autres pensées étudié

 

Ainsi à la fin du bac, au moment de choisir la faculté, le désir de trouver une réponse à tous ces interrogatifs a fait pencher la balance vers la faculté de philosophie. J’ai beaucoup cherché, lu, questionné, mais à ma grande surprise aucun cours, aucun professeur ne m’offraient des réponses satisfaisantes… J’ai repris alors la lecture de l’Evangile, et j’ai ’rencontré’

Jésus de Nazareth, Celui qui n’avait pas considéré un trésor jaloux son égalité avec Dieu (!! pas une petite affaire pour les philosophes !) et qui n’avait pas du tout déprécié d’appeler les hommes ses frères et sœurs… quelle pensée humaine aurait pu arriver à tant ?!

 

La flamme de donner ma vie au Seigneur, allumée à la première communion, a repris vigueur, ainsi j’ai laissé l’enseignement, ma famille et mon

 village et je suis partie en France pour commencer le temps de formation chez les Petites Sœurs de l’Evangile.

 

 

  1. Racontez-nous votre expérience à Madagascar…

 

Le Madagascar a été mon deuxième lieu de mission en tant que petite sœur. Le premier a été le cœur de la forêt équatoriale du Cameroun, au sud-est, région de Yokadouma- Moloundu, à Salapoumbe chez les pygmées, désignés à l’époque encore de peuple primitif, peuple nomade vivant de la chasse et de la cueillette. D’eux-mêmes, ils avaient découvert le feu, le fer – entre autre la machette – avait été apporté par les sédentaires. Leurs instruments de chasse étaient l’arc et les flèches en bois !

Lorsque je suis arrivée, le processus d’évangélisation venait de

commencer et j’ai pu participer aux premiers baptêmes des pygmées Bakas de la région. Expérience forte de transmission et d’accueil de la foi qui me replongeait dans la vie de la première communauté chrétienne des Actes des Apôtres et de l’apôtre des nations, S. Paul.

Quelques années après, j’ai salué cette communauté chrétienne naissante pour rejoindre un contexte complétement différent : la capitale de Madagascar, Antananarivo et le haut plateau, dont le chef-lieu est Antsirabe où j’ai aidé à la fondation de la communauté de formation. Là j’ai collaboré pour la première fois avec les Salésiens de Betafo, petite ville pas trop loin d’Antisrabe.

 

Le Madagascar est nommé ’l’île continent, tellement il est vaste et varié dans sa morphologie et riche d’ethnies diverses. Peuple réservé, discret, il m’a transmis le courage face aux difficultés et la délicatesse de l’accueil et aussi la recherche des choses bien présentées, du beau.

 

Parlez-nous des Petites Sœurs de l’Evangile

 

Les Petites Sœurs de l’Evangile ont été fondées par P. René Voillaume en 1963, selon la spiritualité du Bienheureux P. Charles de Foucauld qui désirait vivre une vie contemplative non dans des lieux retirés mais au milieu

des gens, partageant la vie, le travail, les soucis, la prière, annonçant de cette manière la proximité du Seigneur qui s’est incarné. Un de livres les plus connus écrit par le P. Voillaume porte en effet le titre :

« Au cœur des masses », c’est à dire au cœur de la vie des hommes. Nous sommes actuellement en France et en Italie, dans quelque pays d’Afrique et en Amérique Centrale. Nous vivons en petite communauté ayant le souci de « donner Jésus à tous », comme disait fr. Charles de Foucauld.

En Haïti, la communauté fête ses 30 ans de présence dans le même quartier de Cité aux Cayes- Cité Jérémie, à Delmas 31. Lorsque les premières sœurs sont arrivées, Mgr Miot leur avait proposé cette zone de la ville parce qu’il n’y avait pas encore de paroisse. Après dix ans de présence, de travail et d’annonce, la paroisse St. Louis Marie de Montfort a pu naître, dirigée par les P. Montfortains et particulièrement par le p. Nicolas Gérard. Aujourd’hui nous assurons la présence au quartier à travers le Centre « Kay Chal » qui se propose d’être un lieu d’aide aux enfants en domesticité et d’agrégation des jeunes,un lieu pour le soutien scolaire et de recréation… peut-être un ’oratorio’ ?! L’autre lieu de présence est l’Institut de philosophie St. François de Sales où j’enseigne.

  1. Comment êtes-vous arrivée en Haïti ?

 

Dès mon arrivée au pays en 2003, j’ai commencé la collaboration avec l’Institut. Déjà à Madagascar j’avais eu occasion d’enseigner au Grand Séminaire du pays situé à Antsirabe. Au moment du changement, les sœurs d’Haïti avaient su qu’on avait besoin de quelques professeurs de philosophie. C’est ainsi que assez vite je suis entrée en contact avec le Directeur de l’Institut à l’époque, le P. Elder Hyppolite, aujourd’hui à Rome, à la Faculté de philosophie de l’Université Pontificale Salésienne. Aujourd’hui la collaboration continue avec le P. Bazile et le P. Morachel. Au long de ces années, l’Institut est demeuré au même endroit, pourtant j’ai vécu plusieurs changements : d’abord j’ai enseigné dans l’ancien bâtiment du Post-noviciat situé là où se trouve aujourd’hui la maison provinciale, j’ai connu le P. Volel et le P. Aarts, aujourd’hui au ciel, et aussi Mr. Tite, toujours ’mèt lakou-a’ qui m’a introduit aux délicieuses mangues du pays.

J’ai enseigné sous les tentes et dans les maisonnettes en bois et aujourd’hui nous continuons notre service dans les bâtiments préfabriqués… en attendant la reconstruction.

 

Dans tous ces moments, l’Institut n’a pas ’faibli’ dans sa mission de montrer aux nouvelles générations le chemin de recherche de la vérité que depuis des millénaires l’homme entreprend. Une vérité dont notre raison a soif et sans laquelle notre foi serait inexplicable. Oui parce que la foi a besoin d’être vécue et exprimée.

Ce qui m’a passionné et me passionne de l’Institut, c’est ce projet qui du (presque) rien – pas de bâtiments bien solides et structurés, pas de moyens de communication au dernier modèle, pas encore une bibliothèque performante – arrive à être un lieu de débat et de formation de la pensée et de la conscience, un lieu de ’philo-sophie’, d’amour de la sagesse et de la vérité. Les professeurs ne ménagent pas leurs efforts pour donner aux jeunes étudiants des connaissances solides et de niveau international, qui leur permettent d’approfondir le sens de la réalité et de rendre raison de leur foi. On pourrait dire que ce n’est pas le contenant qui fait le contenu… Au fond, Jésus n’enseignait pas dans le Temple splendide de Jérusalem, et Socrate avait fait le choix de l’agora, du marché…. Cela n’empêche pas d’espérer des conditions plus adaptées au travail intellectuel et de recherche.

  1. Comment vivez-vous cette expérience ?La philosophie est née dans le bassin méditerranéen et je l’ai apprise dans ce même contexte qui est le mien d’origine. Lorsque il m’a été demandé de l’enseigner dans d’autres milieux, j’ai eu un peu de crainte : je me demandais si cette discipline pouvait intéresser et correspondre au questionnement des jeunes, si mon langage pouvait être compris, s’il était adapté… après tant d’années, je peux dire que partout où j’ai enseigné, j’ai rencontré une soif de connaissance, de compréhension du sens des choses, une soif de ’sophia’ qui a fait disparaître mes doutes et m’a encouragée à continuer la route de l’enseignement, de l’accompagnement à « la prise de conscience ». L’enseignement de la philosophie est pour moi aussi un travail d’annonce, un lieu d’évangélisation ’ad intra’ et ’ad extra’, dans sa patrie ou ailleurs, une voie pour s’approcher de Dieu.
  1. Plus de 15 ans en Haïti, comment voyez-vous la réalité du pays ?

 

Vivre au pays est très exigent, il faut être prêt à recommencer, tout le temps. On a besoin beaucoup d’énergies, et beaucoup de patience aussi. Il ne faut pas avoir peur de l’effort pour atteindre ce qu’on pense bon. Enfin, il faut tenir, kinbé fèm selon le souhait plus beau que l’on fait et que l’on reçoit au pays. Kinbé fèm est la vertu de la force intérieure… tout un chemin de vie…

  1. Racontez-nous une expérience qui vous a marqué durant votre mission en Haïti ?

 

Il y a beaucoup d’événements qui ont marqué mes années au pays, mais le plus fort, malgré les années qui passent, est sûrement le tremblement de terre. Combien de souffrance, de bouleversement, de désarroi et en même temps beaucoup de gestes de solidarité, de présence, de proximité, envie de s’entraider pour s’en sortir… proximité allant au-delà des couleurs de la peau et des nationalités. Je ne peux pas oublier ce que j’appellerai ’la route du pain’. Quelques semaines après le tremblement, les différents campements du quartier, avec qui nous partageons la même rue, la même tente, manquaient de nourriture malgré les recherches et les multiples démarches. Un jour, au cours de ces démarches, nous rencontrons un volontaire de la Fondation St Luc à Tabarre; en échangeant sur notre situation, il en reste bien touché; il était au pays pour apprendre à utiliser les fours à pain électriques, il réfléchit un instant et après il nous dit : « je ne peux pas venir en aide, je ne peux pas me déplacer, ni même vous donner de l’argent mais je peux travailler et préparer pour vous du pain frais chaque jour ». La joie était là ; retournant au quartier, on repère vite les voitures qui peuvent encore fonctionner et parcourir le trajet. A partir du lendemain, le travail de chaque après-midi commence : aller chercher ce bon pain frais à Tabarre, plus de 1200 pains qu’on distribuait au retour avec du lait pour le repas du soir. A Cité aux Cayes, tous ceux qui ont vécu cet événement se rappellent encore du parfum de ce bon pain chaud envahissant la route lorsque la voiture entrait dans le quartier… et on savait que – grâce à la générosité de certains – on ne serait pas allé au lit le ventre vide….

Oui, qu’est-ce que peut faire un petit pain !… imaginez-vous une ’petite Hostie’…

  1. Un message aux jeunes d’Haïti
  2. D’emblée, continuer à rechercher à être ’fré’, à être à la page… mais non seulement extérieurement ; désirer être ’à la pointe’ par ce que l’on est, évitant la médiocrité, la mesquinerie… aspirer à ce qui est beau, à la Beauté même… qui est Dieu.

 

 

 

PUBLICATIONS DE SR LUISA DELL’ORTO DANS MOUN-REVUE DE PHILOSOPHIE

 
  

Faisant partie du Comité de Direction et de Rédaction de la revue de l’Institut de Philosophie Saint François de Sales, depuis 2005, Sr Luisa Dell’Orto y a collaboré activement en publiant des articles, des notes de lecture et de nombreux résumés.

  • Le bonheur dans le Paradis de Dante Alighieri, in: Moun – Revue de philosophie, 2 (2005) 129-
  • Charles de Foucauld : Chercheur de la vérité et Frère Son engagement et son œuvre, in: Moun – Revue de philosophie, 3 (2006) 277-285.
  • « Laborem exercens homo » : le primat de l’homme qui travaille, in: Moun – Revue de philosophie, 6 (2007) 179-189.
  • Lire « Caritas in veritate » en Haïti, in: Moun – Revue de philosophie, 11-12 (2010) 78-
  • Identité des peuples, mondialisation, évangélisation dans la doctrine sociale actuelle de l’Église, in:Moun – Revue de philosophie, 15 (2012) 34-49.
  • Le contexte historique mondial, les enjeux et la réception du Concile, in: Moun – Revue de philosophie, 17 (2013) 37-51.
  • L’éducation dans la pensée sociale de l’Église, in: Moun – Revue de philosophie, 19 (2014) 51-

 

 

Notes de lecture

  • Roberto Cagliero – Francesco Ronzon (cur.), Spettri di Dal colonialismo francese all’imperialismo americano, in: Moun – Revue de philosophie 1 (2005) 196-200.
  • Benoît XVI, Lettre encyclique « Deus caritas est ». [Une encyclique sociale ?], in: Moun – Revue de philosophie 5 (2007

 

1.1. Samedi 25 juin 2022. Vers 9:15 du matin elle sortait de la Sogebank sur la Route de l’aéroport et se dirigeait vers sa maison en longeant la bretelle de Delmas 19. Elle a été abattue au volant de sa voiture non loin d’un des pylônes électriques de cette rue en face d’un magasin de vente de pièce de rechange pour automobiles. La voiture des criminels, une Toyota 4Runner de couleur noire, était postée à l’angle d’une rue un peu plus haut bien avant 8:00. Le franc-tireur est descendu et s’est posté au moment où la voiture de Sr Luisa passerait à son niveau pour lui tirer quatre balles qui ont traversé la pare-brise du côté du passager pour l’atteindre directement en plein cœur. Le volant a tourné dans la direction opposée et la voiture s’est arrêtée devant la porte du magasin après avoir frôlé son mur. Le criminel s’est dirigé tranquillement vers son véhicule qui l’attendait et est parti en direction de Delmas 31. Les gens se sont précipités pour voir ce qui se passait et certains ont tout de suite reconnu Sr Lusia. Ils ont arrêté une ambulance qui passait presque providentiellement et qui a accepté de prendre le corps de la Sœur avec son téléphone en main pour l’emmener à l’hôpital Bernard Mevs. Le moteur de la Chevrolet tournait encore. Le sac à main de Sr Luisa est resté dedans jusqu’à l’arrivée de la Police et du Juge de Paix. Sr Helen Ryder, qui avait été à l’hôpital vers 10:00, alertée par les jeunes, a dû se rendre sur les lieux de l’exécution vers 10:30 à la convocation des policiers, ces derniers et le Juge de paix lui ont demandé d’éteindre la voiture et de prendre le sac à main avec elle.

2. Samedi 25 juin 2022. Sr Helen es