Les chroniques de Jorel François

Directeur du Centre Lacordaire

L’année 2022 en Haïti

Sans surprise, l’année 2022, comme les années précédentes, a été marquée en Haïti par des questions d’épidémies, d’insécurité, de violences économiques et politiques sur fond d’intempéries, de tremblements de terre et de crise énergétique. Méritent aussi d’être signalés le décès de quelques personnalités comme Mgr Frantz Colimon (4 novembre), une figure de l’Église catholique en Haïti, le décès de Mme Odette Roy Fombrun (23 décembre), enseignante, écrivaine et féministe haïtienne; la mort violente de sœur Luisa dell’Ortho, italienne, professeure de philosophie et religieuse engagée auprès des pauvres. Sœur Luisa dell’Ortho a été assassinée à Port-au-Prince le 25 juin dernier. Mentionnons aussi, toujours à Port-au-Prince, la mort par balles de l’homme politique haïtien, Éric Jean-Baptiste, Secrétaire Général du Parti du Rassemblement des Démocrates Nationaux Progressistes, survenue le 28 octobre, l’assassinat de policiers haïtiens comme Harington Rigaud, directeur de l’Académie de Police, survenu le 25 novembre, ou de journalistes comme Francklin Tamar, survenu le 18 décembre dernier.

Épidémies, intempéries et tremblements de terre

La première moitié de l’année s’ouvrait sur une épidémie de grippe qui, dès le mois de janvier, sévissait dans la population. À Port-au-Prince, les patients, à l’hôpital de l’Université d’État d’ Haïti, ont été rançonnés par des gens armés forcément non-identifiés.

Le mois de janvier 2022 a terminé sa course avec des pluies diluviennes qui ont provoqué des inondations dans le Nord du pays. Plusieurs morts et disparus sont à déplorer dont deux pêcheurs de l’Île de la Tortue, la fameuse Île qui, séparée de Port-de-Paix par un bras de mer de huit kilomètres, servit de repaire aux aventuriers français chassés de l’Île de Saint-Christophe (aujourd’hui Saint-Kitts) vers 1630. Le Central Électrique du Parc Caracol, non loin du Cap-Haïtien, anciennement Cap-Français, a été inondé.

De nouvelles pluies, en septembre, provoquées par le cyclone Fiona ont déferlé sur l’Île, et ont causé aussi beaucoup de dégâts dans le Nord et le Nord-Ouest.

Par ailleurs, alors que, depuis 2019, on croyait disparu le choléra que les soldats onusiens avaient apporté au pays suite au tremblement de terre de 2010, l’épidémie a refait surface au début du mois d’octobre dernier. On explique que sa résurgence est probablement due au non-ramassage des ordures et à la crise énergétique qui paralysent le pays. Les compagnies qui s’occupent du traitement de l’eau, de sa mise en bouteille et de sa commercialisation n’ayant pas pu fonctionner comme il convenait et ayant même cessé toute activité au début du mois d’octobre, il n’en fallait pas plus pour voir ressurgir la maladie.

En plus des épidémies de grippe et de choléra, les tremblements de terre ont continué d’être récurrents. La terre aurait tremblé plus de mille cinq cents fois cette année en Haïti. Rien qu’au mois de février dernier, on a enregistré cent trente-sept secousses. On n’en parle pas dans la presse internationale parce qu’on estime sans doute qu’elles n’ont pas fait assez de dégâts même si des morts sont souvent à déplorer. Le 11 janvier (2022) : tremblement de terre à deux reprises dans le département de Nippes, de magnitude 4, 6 sur l’échelle de Richter. Le 23 janvier : tremblement de terre au Môle saint Nicolas, magnitude 4, 3. Le 24 janvier vers 8 h 16 GMT : tremblement de terre de magnitude 5, 3 dans le département de Nippes. Et il y eut des morts et des blessés. Le dernier tremblement de terre de l’année date du 28 décembre dernier. Il a affecté surtout Jérémie, la ville du Général Dumas, et il avait une magnitude de 4, 2 sur l’échelle de Richter. À ces détresses et infortunes, il faut ajouter les souffrances infligées par la crise économique, sociale et politique, et les séquestrations et blocage des routes par les gangs armés.

Gangs, armes à feu et blocage de Centres de stockage d’essence

La crise est de plus en plus profonde et l’insécurité endémique. La vie nationale continue donc d’être paralysée par l’instabilité politique et par les gangs qui non seulement séquestrent et tuent mais aussi bloquent l’accès à certaines zones. Ainsi depuis septembre, les Centres de stockage de pétrole sont bloqués par les gangs. Non ravitaillées, les stations de service ne desservent plus la vie nationale alors que du pétrole détourné alimente le marché parallèle. La pénurie d’énergie et la hausse des prix du carburant en circulation limitent les services et provoquent la fermeture d’hôpitaux, de centres de santé, d’entreprises comme le Parc de Caracol par exemple.

Le 24 avril dernier, les gangs ont commencé à s’affronter dans la Plaine du Cul-de-Sac (département de l’Ouest) pour le contrôle de ce territoire. Nombreux ont été les morts et les blessés. La police, secondée par l’armée, a fini par intervenir une semaine après le début des hostilités.

Tout récemment encore, dans la nuit du 29 novembre dernier, il y eut un massacre à Source Matelas (Cabaret). Au moins douze personnes sont tuées par balles et des maisons incendiées.

Comme les affrontements entre gangs, les assassinats par balles et la pratique de séquestration poursuivent leur cours.

On se souvient que la Police Fédérale (le FBI), en novembre 2021, avait déposé une plainte en Floride contre quelques personnes dont deux d’origine haïtienne pour trafic d’armes entre les États-Unis d’Amérique et des gangs en Haïti. En réalité, aujourd’hui encore, il n’y aurait pas d’embargo mais seulement des restrictions mises par les États-Unis et le Canada sur les armes à destination de la police d’Haïti. Les gangs continuent d’être bien ravitaillés en armes et en munitions puisqu’ils continuent de défier la police et de semer la terreur dans la population. Les rares saisies d’armes et munitions faites sur place en Haïti laissent entendre qu’elles proviennent principalement des États-Unis d’Amérique. C’est tout à fait le cas par exemple avec les saisies faites à Port-de-Paix le 16 novembre 2021 et le 1er juillet 2022. Le 30 décembre dernier encore, la police a saisi des munitions au Cap-Haïtien.

En octobre 2021 déjà, le Centre Karl Lévesque signalait aussi que des armes arrivaient régulièrement en Haïti par Fonds-Verrettes fournies contre denrées par des ressortissants de la République voisine. Haïti ne produit plus rien ou presque, tout lui vient de la République Dominicaine et des États-Unis d’Amérique. C’est donc tout naturellement qu’il faut aussi inclure dans le paquet produits importés les armes et les munitions qui sèment la mort dans la population. C’est sans doute aussi en raison de cela que depuis le 5 novembre 2021, le premier ministre Ariel Henry avait demandé un « soutien technique » à l’OEA pour la gestion des douanes, lieu de passage des armes, entre autres choses, dans le pays.

Crise économique, sociale et politique

En raison même de la crise socio-politique, de l’insécurité et de la pénurie énergétique, l’économie du pays est en chute libre. Les rares entreprises encore présentes au pays ferment leurs portes. Certaines se délocalisent en République Dominicaine. En conséquence : augmentation du taux de chômage, insécurité alimentaire…

Il est question plusieurs années de suite de croissance économique négative. Trop d’importations, et pas assez d’exportations. La balance commerciale du pays se conforte et s’installe dans son déséquilibre, et la contrebande continue de faire perdre de l’argent à l’État. En outre, augmentation de la masse monétaire, inflation galopante (plus de 47% en 2022). Flambée des prix avec une augmentation de plus de 200%.

Comme c’est le cas au moins depuis les années 1980, les familles encore sur place sont réduites à vivre sous la perfusion de la diaspora qui doit travailler pour elle-même et pour entretenir des proches restés au pays.

En réaction à cette incurie, la colère de la population gronde. Les manifestations sont de plus en plus violentes et de plus en plus généralisées. Du Nord au Sud, en passant par Port-au-Prince, Gonaïves, Port-de-Paix : des violences tous azimuts contre les œuvres de l’Église catholique et d’Organisations internationales. Cambriolage de magasins et d’entrepôts, zones franches paralysées (Codevi), incendie de marchés, des fibres optiques cisaillées, des écoles vandalisées. Entre autres conséquences, l’école n’a pas pu ouvrir ses portes en septembre. Aujourd’hui encore, beaucoup d’établissements scolaires sont restés fermés.

Du côté politique, au mois de janvier 2022, suite au traditionnel Te Deum célébré à la cathédrale des Gonaïves tous les premiers jours de l’an pour commémorer l’Indépendance de l’Île et de la République d’Haïti en particulier, l’actuel Premier Ministre a été précipitamment exfiltré vers Port-au-Prince en raison des tirs essuyés par son cortège. La crise, qui avait débouché sur l’Accord de Montana, le 11 septembre 2021, entre quelques partis politiques et l’actuel Premier Ministre, a continué de plus belle. Et si le gouvernement, par le biais de son ministre des Affaires étrangères et des Cultes, affirmait en septembre 2022 que tout était sous contrôle, c’était pour, le 6 octobre, demander une intervention militaire dans le pays, ce qui a encore provoqué des descentes de la population dans les rues.

Soulignons par ailleurs que la population continue de réclamer justice pour le président Jovenel Moïse assassiné le 7 juillet 2021. Alors que dans la nuit du 24 au 25 janvier 2022, le tribunal civil de Port-au-Prince a été cambriolé. Pareillement, dans la nuit du 16 au 17 avril, c’était le tour du Sénat de la République de connaître le même sort. Il est pourtant gardé de jour comme de nuit par neuf (9) policiers. Même les archives nationales ont été attaquées et saccagées.

Haïti-République Dominicaine

Les relations entre Haïti et la République Dominicaine se sont considérablement dégradées au cours de l’année 2022. En effet, depuis février dernier, la construction d’un mur dans certaines parties de la frontière est en cours. Du côté de la République Dominicaine, les ressortissants haïtiens ont essuyé des brimades en représailles aux femmes enceintes d’origine haïtienne qui traversent la frontière pour accoucher dans les hôpitaux dominicains. Par ailleurs, plus de cent cinquante mille personnes, pas nécessairement des Haïtiens, auraient été expulsées au cours de l’année de la République Dominicaine vers Haïti. En septembre dernier, des militaires dominicains ont traversé la frontière pour réprimer des Haïtiens et tirer à balles réelles. Les échanges commerciaux ont aussi connu quelques remous. Au mois de novembre,

les marchés binationaux, récemment construits avec des fonds provenant de la Communauté Européenne et mis en service cette année, ont été paralysés.

Le 29 novembre dernier eut lieu au Champ-de-Mars, à Port-au-Prince, une marche de protestation contre la xénophobie et le racisme en cours en République Dominicaine contre les Haïtiens. La population en a profité pour dénoncer également le silence des autorités haïtiennes à ce propos.

Tâtonnements, interventionnisme et ingérence étrangère

Suite à des soupçons de liens possibles entre l’assassinat du président Jovenel et le milieu mafieux révélés par des journalistes étatsuniens, le Sénat des États-Unis a voté une loi le 13 janvier 2022 exigeant une enquête officielle à ce propos.

Par ailleurs, certains secteurs de la vie nationale et dans la diaspora s’activaient s’attendant à ce qu’à partir du 7 février dernier, le pays soit doté d’un chef d’État ayant prêté serment comme le demande la Constitution de 1987 pour ainsi mettre fin au régime officiellement autocéphale d’Ariel Henry. C’était manifestement ne pas trop prendre au sérieux l’affirmation de Brian Nichols, diplomate étatsunien, qui, dans un échange avec la Presse, à l’issue d’une réunion en ligne réalisée par le Canada à propos de la situation d’Haïti, soutenait que « le mandat du premier ministre n’est pas lié à celui du président ».

Dans une lettre datée du 4 février, ce qui restait du Sénat en Haïti, avec Joseph Lambert à sa tête, signale au Premier Ministre dit « de fait » Ariel Henry qu’il prend acte que le mandat du défunt chef d’État Jovenel Moïse prend fin le 7 février 2022. En conséquence, il s’attend à ce que « l’écharpe présidentielle » soit envoyée au Sénat pour que ce dernier la dépose au Musée du Panthéon National. Le premier ministre « de fait » Ariel Henry continue de liquider les affaires courantes de l’État, et de concert avec le Sénat, travaille pour la préparation des élections.

En termes clairs, c’est en quelque sorte la perspective de Washington qui a triomphé. Il n’y a donc pas eu de prestation de serment de chef d’État le 7 février dernier, quand bien même du côté haïtien, une partie de l’opposition (la partie signataire de l’Accord du 30 août 2021 dit Accord de Louisiane) songeait à la mise en place d’un gouvernement provisoire formé d’un collège de cinq membres, élus par suffrages indirects, et d’un nouveau premier ministre, et qu’une autre partie, signataire de l’accord dit, de Montana, avait élu le 30 janvier 2022 un président en la personne de Fritz Alphonse Jean, et un nouveau premier ministre par intérim en la personne de Steven Benoît.

Au mois de mai dernier, le New York Times a publié plusieurs articles qui rappelaient, à juste titre, sans doute, le rôle historique non négligeable de la France et des États-Unis dans la pauvreté séculaire d’Haïti et donc, au moins indirectement, dans l’instabilité politique dont elle est l’objet. Et en ce qui a trait de la conjoncture, une lettre ouverte, par exemple, datée du 3 mai d’une Association de pasteurs protestants haïtiens (COPAH), dénonce l’influence du Core Group dans les actions et décisions en œuvre à l’intérieur des frontières du pays.

Pareillement, le secrétariat de l’Organisation des États Américains (OEA), à travers un communiqué daté du 8 août 2022, critiquant la présence de l’Organisation des Nations Unies (ONU) en Haïti, désignait la Communauté internationale comme responsable en partie de la crise actuellement en cours dans le pays. Les décideurs de l’ordre mondial ont pourtant renouvelé le mandat de l’ONU qui continue alors d’être présente en Haïti pour continuer les bonnes œuvres qu’elle a entreprises.

Le 26 septembre, des pays comme les États-Unis d’Amérique affirmaient ne pas avoir écarté la possibilité d’une intervention militaire en Haïti. Les ayant pris au mot, sans doute, Ariel Henry, le 02 octobre dernier, demandait une intervention militaire. On aurait observé dans la foulée la présence de Garde-côtes des États-Unis d’Amérique patrouillant dans la baie de Port-au-Prince, appelés, dit-on, par le Premier Ministre pour venir sécuriser la Cimenterie d’Haïti, une entreprise autrefois de l’État, mais privatisée depuis quelques années.

Relayant la demande du Premier Ministre Haïtien et le souhait d’autres pays de la région, l’ONU appelle à examiner la possibilité de l’envoi d’une force militaire non-onusienne en Haïti. Il s’agit, soutient-elle, à travers ses personnalités autorisées, de « transformer la crise actuelle en une opportunité pour Haïti ».

Quelques espoirs

Bien que très faiblement représenté, le pays a quand même participé aux jeux olympiques d’hiver (en février dernier) à Pékin (en Chine). Ainsi nous avons pu voir flotter le drapeau haïtien dans un contexte différent des éternelles jérémiades ou évocation de violence et de misère. Pareillement, environ 37 000 touristes auraient visité Haïti en 2022.

Il est à souligner que depuis la fin de l’année 2021 et encore au cours de l’année dernière, la police nationale, grâce aux agents de douane en particulier (ports maritimes, aéroports et frontières terrestres), ont pu mettre la main sur plusieurs cargaisons d’armes et munitions et aussi sur plusieurs personnes impliquées dans ce trafic.

Par ailleurs, vers la fin de l’année, des mesures auraient été prises par l’ONU comme par certains pays (les États-Unis d’Amérique, le Canada et l’Angleterre) pour geler les avoirs de certains hommes d’affaires et plusieurs personnes qui ont eu ou qui ont encore des responsabilités dans l’État en Haïti sont officiellement concernées par des sanctions imposées notamment par le Canada et les États-Unis contre des personnes qui alimenteraient l’insécurité dans le pays. Ces sanctions toucheraient d’anciens premiers ministres, des parlementaires et anciens parlementaires et des hommes d’affaires haïtiens.

Du côté haïtien, certaines personnalités du secteur privé des Affaires ont signé un accord, le 08 décembre dernier, pour promouvoir dans leur pratique commerciale des initiatives plus conformes à la loi et plus favorables au développement national. Rhum Barbancourt n’aurait pas signé cet accord, estimant peu crédibles certains de ses protagonistes.

Du côté politique, suite à l’accord de Montana (11 septembre 2021) qui a volé en éclats, s’est mis en place, le 21 décembre dernier, un nouvel accord intitulé « Compromis National pour une Transition Inclusive et des Élections Transparentes ». Cet acte, qui se dit consensuel, est signé par la plupart des secteurs de la vie nationale. Certains partis politiques, pourtant d’importance, n’ont pas souhaité le signer. Dans la foulée de l’accord, a été mis en place un Haut Conseil de Transition. Il est constitué de trois membres, lesquels proviennent de différents secteurs de la vie nationale.

Autour de la Noël, les évêques catholiques d’Haïti, de leur côté, ont appelé à arrêter la folie meurtrière qui, pour des intérêts non nationaux, sème le deuil dans les familles haïtiennes. Puisse les vœux des Évêques s’incarner dans la vie nationale et la faire évoluer vers plus de justice et de paix comme l’Enfant de Bethléem dans le monde des humains.