Les chroniques de Jorel François

Directeur du Centre Lacordaire

La Saga continue

La saga continue

L’objectif étant sans doute de faire d’Haïti un nouveau Congo en guerre civile voilà une trentaine d’années déjà alors que l’on n’arrête pas de piller son sous-sol, la population haïtienne continue donc de progresser dans sa descente aux enfers. Par ailleurs, une minorité nationale, soutenue par des instances non-nationales, contrairement à la volonté de la majorité plutôt méfiante en raison de son expérience, attend, souhaite et continue de demander le parachutage du Sauveur International qui, comme toujours, ne délivrera probablement de rien. Mais il importe d’entretenir cet espoir de délivrance et d’attendre. Cela permet aux esprits paresseux de faire passer le temps et surtout de ne pas devoir chercher à se délivrer par eux-mêmes.

L’éclaircie-Biden

En attendant cette libération définitive qui, comme les précédentes, ne le sera certainement pas, les crimes continuent. Mais l’actualité locale, en ce début d’année, est plutôt dominée par l’éclaircie rendue possible par la promesse de l’administration Biden-Kamarla qui, à travers le Welcome Corps Program, propose d’accorder trente mille (30 000) visas par mois aux ressortissants d’Haïti, de Cuba, du Venezuela et du Nicaragua pour un séjour aux États-Unis pouvant aller jusqu’à deux ans pour raison humanitaire. Vingt (20) États, d’allégeance républicaine ont porté plainte contre ce programme qu’ils estiment non-conforme aux lois étatsuniennes, ce qui présage un bras de fer entre ces États et le gouvernement fédéral.

En Haïti, toutefois, pour pouvoir tenter sa chance, c’est déjà la course aux passeports, malgré l’insécurité, le manque de liquidité et l’absence de certitude quant à pouvoir voyager. Sous un soleil de plomb, des files d’attente interminables de jeunes. Et pour s’assurer de l’emporter sur son compagnon d’infortune, on se pousse, on joue des coudes. Des ruades, des bousculades, des coups de poings et de pieds, et même des tentatives d’escalade de mur donnant accès aux bureaux de déposition des pièces d’identité. 

Des actes de pareille impolitesse et d’incivilité témoignent de la difficulté de vivre ensemble certes, mais aussi et surtout du désarroi et de l’impatience de cette jeunesse qui ne se pense plus à partir du pays et qui désire respirer un air différent, n’importeoù, à n’importe quel prix, pourvu que ce soit en dehors des frontières de cet État qui ne s’occupe pas de ses ressortissants parce que lui-même a depuis longtemps  déjà cessé d’exister.

Gangs, armes à feu et violence

Depuis le début de l’année, il n’y a pratiquement plus d’institutions formelles dans le pays. Il n’existait déjà pas de députés, il n’existe plus désormais de sénateurs. Le mandat des dix derniers qui étaient encore en fonction a pris fin le 9 janvier dernier. La veille même de l’expiration de leur mandat, le chef de ce qui s’appelait encore Parlement aurait été l’objet d’une agression dont il est sorti blessé àl’œil.

Au cours du mois de janvier, au moins une dizaine de policiers ont été tués dans des affrontements avec les gangs à travers le pays.

Le 10 janvier, huit policiers ont été tués et deux autres blessés à Carrefour-Feuilles (Port-au-Prince). Au moins trois ont été tués et plusieurs autres blessés le 18 janvier à Meyotte (Pétion-Ville).

Selon le Porte-Parole de la police de Port-au-Prince, ces policiers n’étaient pas en opération officielle mais agissaient de leur propre initiative contre ces hommes armés.

Toujours ce même 18 janvier, un autobus chargé de passagers en provenance de la République Dominicaine a été séquestré. D’autres, à travers le pays, ont subi, au cours du mois, un sort analogue. Ce 4 février encore, un autobus de Port-de-Paix, et un autre de Saint-Marc, tous deux en route vers Port-au-Prince, ont été séquestrés à Liancourt (l’Artibonite) par des gens armés.

Le 25 janvier, six policiers ont été tués à Liancourt dans la lutte contre des gangs. Le jour d’avant (le 24 janvier), une attaque menée par un gang a fait plusieurs victimes dans la population à Canaan (Port-au-Prince).

Le 3  février, toujours à Port-au-Prince, des hommes armés ont ouvert le feu sur des vendeurs au marché Salomon. Il y aurait eu cinq (5) tués et de nombreux blessés.

Plus d’un demi-million d’armes à feu, et la plupart de gros calibre, seraient en circulation dans le pays, et la plupart en provenance des États-Unis. Les gangs seraient bien alimentés alors qu’il y aurait par ailleurs un embargo d’armes sur la police d’Haïti qui, de surcroît, serait elle-même infiltrée. Certains chefs des gangs et membres de gangs auraient été des policiers.

Suite au massacre à Liancourt, le 26 janvier, des policiers sont descendus dans la rue, notamment à Port-au-Prince, pour réclamer des changements. On aurait tenté d’incendier en la circonstance la résidence du Premier Ministre. Ce dernier devait arriver d’Argentine, les policiers, en colère, se seraient alors dirigés vers l’aéroport pour l’accueillir. Mais il aurait été exfiltré de l’aéroport sans même avoir eu le temps de donner la traditionnelle conférence de presse.

Le mois de février a commencé avec des manifestations de rues. Les rues du Cap-Haïtien ont été envahies, le 3 février, de manifestants à l’appel du leader du parti politique Pitit Dessalines (les Enfants de Dessalines). Les gens manifestaient contre l’insécurité économique et l’instabilité politique dans lesquelles se trouve le pays. D’autres manifestations auraient eu lieu, toujours à l’appel de ce parti, le 7 février, jour de commémoration de la constitution de 1987 et, depuis la chute officielle du régime de Duvalier, de prestation de serment des chefs d’État haïtien.

Vers une solution à la crise…?

Le 02 janvier dernier, quelques personnalités sur le continent africain ont demandé à la Communauté Internationale de prendre sa responsabilité par rapport à Haïti indépendamment des considérations géopolitiques. Michael JEAN, ancien gouverneur du Canada, a relayé cet appel. À la fin du mois de janvier, Antonio GUTERRES, le Secrétaire Général de l’Organisation des Nations Unies, a rappelé l’urgence du déploiement d’une forme armée spécialisée internationale en Haïti pour, soutient-il, sécuriser le territoire contre les gangs et autres sources d’insécurité. Pareillement, Helen Ruth MEAGHER LALIME, représentante spéciale du Secrétaire Général des Nations-Unies en Haïti, aurait, une fois de plus, appelé à l’envoi de cette force et la Jamaïque aurait manifesté son souhait d’en faire partie. Enfin, du côté haïtien aussi, Léon CHARLES, ambassadeur d’Haïti à l’Organisation des États Américains, a, au nom du gouvernement haïtien, réitéré le 1er février dernier, la demande de l’envoi d’une force militaire. Un sondage par téléphone aurait été réalisé au pays par Diagnostic Development Group S.A auprès des jeunes âgés de plus de dix-huit (18) ans le 1er février dernier, et 60 % d’entre eux auraient souhaité une intervention pour aider à mettre fin à l’insécurité.  Le Centre d’Analyse et de Recherche en Droits Humains en Haïti aurait, lui aussi, donné son assentiment à la possibilité qu’une force internationale soit diligentée pour venir soutenir la police nationale dans sa lutte contre les gangs armés.

Des efforts effectifs

Quelques efforts ont été faits à l’intérieur comme à l’extérieur du pays pour contrer les gangs et quelques trafiquants d’armes à feu.

Le 1er janvier, Jour anniversaire de la Déclaration Officielle de l’Indépendance d’Haïti, la police à Pétion-ville a procédé à l’arrestation de cinq personnes présumées membres d’un gang.

Le jour suivant (02 janvier), à Saint-Marc, ce fut l’arrestation de quelques membres d’un autre gang.

Le 4 janvier, quelques membres de gangs ont été tués à Port-au-Prince dans des échanges de tirs avec la police.

Autour du 20 janvier dernier, on a procédé à l’arrestation à Jacmel de deux trafiquants d’armes à feu. Ils sont de nationalité haïtienne.

Aux États-Unis, à Denver, en Colorado, un ressortissant haïtien, inculpé en juillet 2022 pour trafic d’armes à feu en Haïti, aurait été condamné à un an de prison.  Plusieurs ressortissants étatsuniens, détenus à Port-au-Prince, parce que soupçonnés d’être impliqués dans l’assassinat de Jovenel MOISE, ont été  transférés aux États-Unis, le 31 janvier dernier.

Vers la deuxième moitié du mois de janvier, le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ) à Port-au-Prince a publié une liste indiquant des noms de juges certifiés et d’autres, au nombre de 28, non-certifiés pourtant en fonction.

Le 18 janvier, l’actuel Premier Ministre a fait publier l’arrêté instituant le Haut Conseil de la Transition Inclusive et des Élections Transparentes mis en place suite à l’accord du 21 décembre 2022. Le 6 février dernier, le gouvernement a procédé à l’installation des trois membres composant ce Haut Conseil, et le pays a appris que Mirlande MANIGAT, alors l’un des trois membres, en est l’actuel président.

Depuis le 4 février dernier, un avion militaire canadien survole le territoire haïtien, officiellement pour appuyer les opérations menées par la police nationale.

Mais à l’heure qu’il est, les armes de groupes armés continuent de se faire entendre à l’intérieur de la capitale haïtienne comme dans ses périphéries, sur les hauteurs de Pétion-Ville par exemple, et les actes de séquestration continuent aussi de plus bel.