Les chroniques de Jorel François

Directeur du Centre Lacordaire

Suite de la saga haïtienne

La saga en Haïti continue son cours en attendant son dénouement que des rebondissements peuvent sans cesse remettre à plus tard. Beaucoup ont sans doute intérêt à ce qu’il en soit ainsi, ou pour mieux continuer de pêcher en eaux troubles, ou pour rendre encore plus acceptable cette issue qui ne s’annonce pas forcément heureuse. Dégageons quand même quelques éléments récents de cet inextricable imbroglio.

Tremblement de terre

Le 16 février dernier, la terre a tremblé dans le Nord-Ouest. Ce tremblement de terre, de magnitude 5, 5 sur l’échelle de Richter, a eu son épicentre à Bombardopolis, ville voisine de Port-de-Paix et de Môle-Saint-Nicolas. Il n’y a pas eu de dégâts connus.

Du côté du gouvernement

Le Haut Conseil de Transition, constitué de trois membres, formé le 21 décembre 2022 par l’actuel Premier Ministre Ariel Henry, a été installé le 06 février dernier. Dans son discours de circonstance, Mirlande Manigat, sa présidente, a promis a) de mener à son terme le remaniement de la Constitution entrepris sous le gouvernement du feu Président Jovenel Moïse b) de remettre sur pied le système judiciaire pour lutter contre la malveillance sociale, le banditisme et le gangstérisme local afin c) de pouvoir former un Conseil électoral en vue d’éventuelles élections.

Le 28 février 2023, le Premier Ministre a procédé à la nomination de huit juges à la Cour de cassation par un arrêté (cf. le journal Le

Moniteur). Ces derniers ont prêté serment le 07 mars, en présence du Premier Ministre et d’autres membres du gouvernement. Des partis politiques dénoncent dans cette mesure une décision unilatérale et illégitime qui a violé l’article 175 de la Constitution, qui demande que ce soit normalement le Parlement qui nomme ces juges. Le parlement étant de nos jours inexistant, faute d’élections pour le renouveler, le Premier Ministre agit en lieu et place et unilatéralement. Cela étant, il y aurait déjà eu un précédent à cette manière de procéder : en 2012, pour combler des vacances, quatre juges auraient intégré illégalement la Cour de cassation.

Les gangs toujours très actifs

Le 7 février dernier, on a séquestré un prêtre catholique à Port-au-Prince, et un autre en route vers Casale (l’Artibonite). Toujours à Port-au-Prince, des religieuses auraient aussi été attaquées et pillées.

Le 10 février, suite à une attaque à mains armées dans une école, un écolier est blessé par balle à Liancourt (l’Artibonite).

Le 12 février, la Provinciale des Filles de Marie, une Communauté religieuse de fondation belge, s’est plainte parce qu’une de leurs propriétés, sise à la Croix-des-Bouquets, banlieue de Port-au-Prince, comportant entre autres une école et la maison du noviciat, est arbitrairement occupée depuis quelque temps par des bandits armés.

Le 13 et 14 février, des personnes ont été prises en otage par des gangs à Deschapelles, non loin des Verrettes et de Liancourt.

Le 1er mars, des membres de gangs auraient attaqué un sous-commissariat de police à Fort-Jacques (sur les hauteurs de Port-au-

Prince), et l’auraient incendié après avoir obligé les policiers de service à détaler.

Le 02 mars : Panique au Bel-Air (un quartier de Port-au-Prince) et à Delmas (une commune de Port-au-Prince) liée à des groupes armés qui s’affrontent. Les riverains qui le pouvaient ont déguerpi sans demander leur reste.

Le 03 mars, des bandits auraient saccagé une station de production et de distribution d’électricité à Carrefour-Feuilles, provoquant ainsi l’aggravation du problème de l’énergie électrique dans la zone métropolitaine.

Pareillement, les bureaux de l’administration des douanes de Port-au-Prince ont été l’objet de pillage pendant la première fin de semaine du mois de mars.

Pendant la première semaine du mois de mars, sur un intervalle de quarante-huit heures (48), plus de quatre-vingts cas de séquestration auraient eu lieu à Port-au-Prince.

Marasme institutionnel et injustices de toutes sortes…

Au milieu du mois de février, il a été signalé que des magistrats non-certifiés dont les noms avaient été publiés le 16 janvier dernier par le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ) siégeraient encore dans les tribunaux.

Par ailleurs, le programme d’immigration Biden-Harris au bénéfice de ressortissants de pays comme Cuba, Venezuela, a donné lieu à de la corruption en Haïti. Sans évoquer les tentatives d’escroquerie venues de l’extérieur et qui auraient réussi au détriment de cette population en

détresse, il est à signaler qu’un passeport qui, en temps normal, aurait coûté $ 60 US au citoyen haïtien vivant en Haïti, coûterait à présent autour de $ 500 US en raison de frais non officiels surajoutés.

Depuis le 22 décembre 2022, les médecins de l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti sont en grève à Port-au-Prince. Ils réclament un ajustement salarial et une amélioration générale de leurs conditions de travail. La grève se poursuit encore étant donné que leurs griefs n’auraient pas été satisfaits.

Du côté de l’International

Le 8 février, c’était en Haïti la visite de M. Volker Türk, haut-commissaire des Nations Unies pour les droits de l’homme. Le 10 février, jour de son départ, il a publié un rapport à propos des harcèlements, viols et meurtres commis par les gangs armés à Cité Soleil (commune de Port-au-Prince) au cours de l’année 2022.

Commentant ce rapport lors d’une conférence de presse donnée à l’aéroport de Port-au-Prince ce même jour, il déclare que les « problèmes sont vastes et accablants » et parle même de « cauchemar vivant » pour qualifier le drame dont le pays est l’objet.

Le 27 février, une mission de la CARICOM commandée par M. Andrew Holness, le Premier Ministre de la Jamaïque, est arrivée en Haïti pour presser les acteurs haïtiens de trouver une solution à la crise. Elle est repartie, évidemment, sans la dite solution.

Le 1er mars, la presse locale annonce le remplacement de Helen Ruth Meagher Lalime, représentante spéciale des Nations Unies en Haïti, et

présente au pays depuis le 16 octobre 2019, par Maria Isabel Salvador, une Équatorienne.

Le 02 mars, un rapport de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime intitulé « Haiti’s Criminal Market – Mapping Trends in Firearms and Drug Traffiking » publié à Vienne, confirme que la plupart des armes saisies en Haïti proviennent des États-Unis d’Amérique.

Par ailleurs, suite à l’avion canadien qui patrouillait dans le ciel d’Haïti depuis le 4 février dernier, on constate désormais, depuis le 02 mars, la présence de deux bateaux canadiens le long des côtes haïtiennes.

À noter qu’aucun pays, aujourd’hui encore, ne semble avoir accepté officiellement de prendre la tête de la Force Militaire Internationale réclamée par le Premier Ministre en écho à des instances internationales comme les Nations Unies. Cette Force aurait la noble mission, une fois de plus, de rétablir la sécurité en Haïti.

Quelques bonnes nouvelles

Le 14 février 2023, on a arrêté quatre personnes vivant en Floride dont un Colombien, et un Vénézuélien de nationalité étatsunienne, pour leur rôle présumé dans l’assassinat du Président Jovenel Moïse. Ces derniers ont donc été ajoutés à la liste d’anciens présumés déjà arrêtés dans le cadre de ce dossier.

Le 22 février dernier, l’équipe féminine de football, les Grenadières, est qualifiée pour la finale de la coupe du monde grâce à une victoire remportée sur l’équipe féminine du Chili.

Le 05 mars, deux présumés membres de gangs ont été arrêtés à Fleuriot, commune de Tabarre (Port-au-Prince).

Le 06 mars dernier, à Bruxelles, Martine Moïse, épouse du feu Président Jovenel Moïse, assassiné dans la nuit du 06 au 07 juillet 2022, a reçu le prix européen Women’s International Leadership Award 2023, conjointement avec sept autres femmes de tout horizon géographique, pour son engagement auprès des femmes, dans l’agriculture biologique et dans l’éducation en Haïti. Martine Moïse est originaire de Port-de-Paix.

Rester confiant en faisant ce que l’on peut

Comme nous pouvons le constater, la saga suit son cours. Cela étant, il est important que les hommes de bonne volonté, les amis du genre humain, continuent de faire ce qu’ils peuvent, s’ils le peuvent, par amour même du genre humain, par solidarité, et pour qu’ils ne soient pas complices de délit de non-assistance à personne en danger.

Cultivons la vertu de l’espérance, d’autant plus que malgré la gravité de la situation, dans certains endroits en Haïti, comme Jacmel et Port-au-Prince, certains ont pu quand même danser le carnaval.