Quelques mots à propos de la conjoncture en Haïti
Deux points sont à signaler en particulier ce mois-ci, me semble-t-il: une certaine embellie dans la pratique de séquestration grâce à l’action de la population d’une part et d’autre part le fait que cette même population se retrouve avec les pieds dans l’eau en la circonstance de pluies tropicales.
Embellie dans la pratique de séquestration
Le nombre des personnes séquestrées a baissé ces derniers temps en Haïti; les brigands n’ont plus tout à fait les coudées franches pour le moment. Certains ont même été neutralisés. Et c’est la population elle-même qui est à l’origine de cette évolution de la situation. Lassée d’avoir trop été victime de brigandages, de viols, de séquestrations et de meurtres…sous les yeux d’autorités locales inefficaces et inactives, voire complaisantes, elle a pour ainsi dire décidé de prendre le taureau par les cornes et de contrer quelques-uns de ces malfrats criminels. Mais en même temps, n’ayant pas entre les mains les leviers de l’État, et répondant à la violence par la violence, c’est avec les moyens du bord qu’elle a réagi : des pierres, des pneus enflammés…
Le ton avait été déjà donné le 02 octobre 2022 à Minvielle, sur les hauteurs de Port-de-Paix. La population locale avait pris au piège un bandit et quelques-uns de ses compagnons qui, depuis deux ans, la terrorisaient et la rançonnaient. Elle les a neutralisés. Le signal avait mis du temps à faire son chemin, mais il a été finalement relayé le 24 avril 2023, à Canapé-Vert, sis entre Pétionville et Port-au-Prince. Depuis il continue son cours.
La méthode est on ne peut plus primitive. Elle donne sans doute lieu à des débordements et à de nouvelles injustices. Mais il est difficile d’appeler à la raison garder une population en pareilles circonstances, d’autant plus qu’il lui paraît clair que rien n’est fait ou presque pour limiter les injustices et les violences dont elle est l’objet. Ce sont celles-ci qui ont donné lieu à celles-là. Peut-être n’en serait-elle pas parvenue à ce point si elle avait l’impression que quelque chose était fait en amont pour la protéger de certaines de ces injustices et violences qui pourrissent son quotidien. Il est tout aussi difficile de pronostiquer combien de temps pourront durer cette réaction de la population et cette embellie dans les actes de séquestration à laquelle son initiative a donné lieu.
Des gens avec les pieds dans l’eau
Par ailleurs, depuis le début du mois en cours, la plupart des villes haïtiennes (Cayes, Jérémie, Petit-Goave, Léogâne, Port-au-Prince, Port-de-Paix…) sont inondées. Suite à trois jours consécutifs de pluie l’eau a monté jusqu’au plafond du rez-de-chaussée de certaines maisons. Des pertes matérielles importantes, des morts sont à déplorer.
La plupart des villes haïtiennes ne peuvent plus supporter trois heures de suite de pluie tropicale. Haïti est une terre montagneuse, et c’est même faire une tautologie que de le rappeler, car le mot taïno « Ayiti », qui a donné son nom à l’Île, veut dire « terre haute, terre montagneuse ». A l’époque des amérindiens, on pouvait y vivre sans doute sans trop s’inquiéter des conséquences des pluies diluviennes. L’île était fortement arborée. Les arbres fixaient l’eau de pluie dans le sol et l’empêchaient de dévaler les montagnes pour inonder les villes.
Depuis la colonisation et surtout ces derniers temps, la donne a changé. Déforestation, érosion, et à tout cela et au changement climatique global s’ajoutent d’autres incuries locales : constructions anarchiques, absence de drainage. Depuis la chute de la dictature de Duvalier en 1986, le ramassage d’ordures ménagères est devenu aléatoire. En conséquence, celles-ci se retrouvent dans les rues, dans les caniveaux et les ravins qui, obstrués, ne laissent pas couler l’eau de pluie. Et dans les rivières, les déchets s’accumulent, bloquent les ponts, qui s’effondrent et inondent les villes et les plaines. Étant donné que le choléra sévit actuellement sur le territoire national, avec ces inondations saisonnières, une aggravation de l’épidémie est alors à redouter.
Comment améliorer la situation?
Il y a évidemment ce qui peut relever de l’État et ce qui peut relever de la population : commencer par respecter et protéger ce qui reste de la couverture végétale, recommencer à planter des arbres, drainer les villes, cesser de construire n’importe comment et n’importe oû, ne plus jeter les fatras dans les caniveaux, les rigoles et les rivières comme on a tendance à le faire depuis la chute de Duvalier, et pour cela, il faut renouer avec certaines pratiques d’hygiène publique, à commencer par le service de ramassage d’ordu