Les chroniques de Jorel François

Directeur du Centre Lacordaire

Echo d’Haïti Juillet 2023

Quelques échos d’Haïti

J’ai été le 26 juin dernier à une conférence ici à Montpellier où j’ai entendu évoquer le nom d’Haïti. J’ai tendu un peu plus l’oreille, mais c’était pour entendre dire qu’elle faisait partie d’un contingent de trois pays pour lesquels on était quasiment sûr qu’il n’y a pas d’avenir. Je n’ai pas attendu la fin de la conférence pour en faire part à quelques amis et proches encore au pays. Et quelle n’était pas ma surprise! Je vous retransmets sans filtre ou presque quelques-unes de leurs réactions.

Le premier que j’ai pu rejoindre m’a rappelé qu’« Haïti a marqué l’histoire. Nous sommes au fond du trou certes, a-t-il continué de faire remarquer, mais tôt ou tard se lèvera une génération avec des idées et des visions différentes pour faire les choses autrement ».

Le deuxième a souligné que la plupart des Étrangers « ont pour mission de nous [les Haïtiens] enterrer davantage… »

Au premier j’ai répliqué : « vous croyez au miracle, mais les miracles ne sont pas de tous les jours. La République Dominicaine est aujourd’hui là où elle est parce que Balaguer [chef d’État dominicain resté au pouvoir presqu’aussi longtemps que Duvalier] a usé de son temps de dictature pour jeter les bases d’un certain développement alors que Duvalier faisait exactement le contraire en Haïti. Aujourd’hui nous payons en quelque sorte pour ce qui n’a pas été fait, et ce n’est pas du tout demain la veille que nous parviendrons à sortir du trou dont tu parles, d’autant plus que tout ce qui est fait est fait pour nous y enfoncer encore plus… ».

Il m’a rétorqué : « mon ami, nous croyons aux haïtiens conséquents et patriotes… ».

J’ai alors objecté : « ils sont peu nombreux, puis ils se cachent pour ne pas se faire descendre pour rien. Par les temps qui courent, ce ne sont certainement pas eux qui mènent la barque, car de l’eau fuse de toute part et le sabordage est vraisemblablement en cours ».

C’est alors qu’il m’a répondu : « pourquoi es-tu si pessimiste […] Dans tous les pays du monde, c’est la minorité qui fait l’histoire. Un de ses jours un groupe d’hommes et de femmes finiront par faire la différence en Haïti».

Je lui ai alors ironiquement répondu : « tu as tout à fait raison. Ce n’est évidemment pas la majorité mais une petite minorité qui fait le malheur de ce pays».

Faisant allusion à notre hymne national, j’ai continué : « N’est-il pas dit ‘dans nos rangs point de traîtres…?’ Dans la plupart des pays du monde, être traître à la nation fait encourir généralement la peine capitale ou le cas échéant, la prison à perpétuité. Mais en Haïti, les traitres sont plutôt exaltés… ».

À un troisième à qui j’ai redis qu’il était dit à la conférence qu’Haïti était un cas perdu, il m’a répliqué : « perdu pour qui? Pour ceux qui s’enrichissaient sur notre dos ou pour ceux qui le font actuellement? »

J’ai répliqué à mon tour: « en tout cas, le processus semble être bel et bien en marche ».

Il a enchaîné : « Même dans l’hypothèse d’un État islamique en Haïti, on continuera de résister ».

J’ai repris le propos avec un quatrième et ce dernier de me rétorquer : « nous devons quand même garder l’espoir d’une Haïti meilleure ».

Et quand je lui disais : « voilà longtemps déjà depuis que la bataille est manifestement perdue », il me répliquait : « malgré tout le miracle est encore possible […] Il se peut qu’à un moment de la durée, à l’instar des aïeux, le peuple se lève d’un bloc pour contrer le funeste sort qui lui est fait. Face au spectre de la mort, on peut devenir héroïque ».

Comme vous pouvez vous en rendre compte, certains Haïtiens, à l’intérieur de l’espace de la République d’Haïti, peuvent être plus positifs sur le futur d’Haïti que ne le sont d’autres qui observent de l’extérieur, et qui se montrent atterrés pour ce qui se passe là-bas