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HAÏTI MAI 2023 Françoise PONTICQ

Depuis de nombreux mois la situation sécuritaire dégénère lentement : kidnappings, tueries dans certains quartiers que les gens fuient, accès aux provinces limités, gangs hyper armes qui resserrent leur étau sur la capitale et même dans certaines régions comme l’Artibonite.

Ceci sans compter les conséquences de cette insécurité : départs à l’étranger, pertes économiques, pertes de biens mobiliers et immobiliers, fermetures de magasins et industries, écoles, et le fameux programme américain (Humanitarian Parole).

Depuis le lancement le 9 janvier 2023, par l’administration Biden-Harris, du nouveau Programme humanitaire de séjour conditionnel (« Humanitarian Parole ») d’une durée de 2 ans, près de 18,000 haïtiens approuvés (en date du mois de mars 2023) sont déjà aux États-Unis. Selon les données publiées vendredi 28 avril 2023 par les autorités américaines, quelques 72,500 personnes au total, des 4 pays bénéficiaires de ce Programme sont arrivées aux USA : près de 15,000 Cubains, 18,000 Haïtiens, 7,500 Nicaraguayens, 32,000 Vénézuéliens. Précisons que le programme prévoit 30,000 migrants par mois pour ces 4 pays sans quota par pays, le séjour étant fixé à deux ans.

Les Haïtiens se hâtent de faire un passeport (très cher car les raquetteurs sont légion) et cherchent des « sponsors » pour être éligible.

Le gouvernement « de facto » et son premier Ministre Ariel Henry, très décrié par la population, n’a à son actif, aucun changement de situation. Ils se préparent à fêter le 18 mai (fête du drapeau haïtien synonyme de l’indépendance du pays en 1804) sans état d’âme et comme si de rien n’ était.

ATTAQUE DU QUARTIER DE DEBUSSY ET MOUVEMENT POPULAIRE « BWA KALE »

Il y a environ trois semaines, un évènement a impulsé une nouvelle direction au quotidien : un quartier de la capitale, Debussy, a été le théâtre d’une attaque de gangs qui visait à contrôler le reste de la capitale. Ce quartier – ainsi que d’autres voisins- est de type résidentiel, mais de vastes quartiers populaires y sont inclus.

La réaction a été rapide et inattendue : les riverains se sont armés de machettes, pics, roches et aussi armes à feu, et ont opposé une résistance féroce au gang avec l’aide de la Police Nationale. Les bandits ont été mis en déroute et beaucoup exécutés de manière sommaire.

A partir de ce moment, des brigades de vigilance se sont organisées pour bloquer les accès et empêcher un retour du gang, et pourchasser les bandits.

Depuis lors, chaque soir des barricades sont érigées et ferment tous les accès des 7 heures du soir.

« La frustration est toujours grande dans les rangs surtout que ces jeunes policiers n’habitent pas dans des quartiers aisés, mais dans des zones populaires dont nos dirigeants et l’international dans leur mépris n’en ont rien à foutre. La première résistance est venue de là. Le refus d’abandonner son quartier à des bandits même quand la hiérarchie demandait inexplicablement de retourner à la caserne, ceci impliquant de livrer la population à des bandits assassins et violeurs. Des policiers ont refusé et ont préféré se battre. »

Le mouvement s’est nommé « BWA KALE » : un slogan déjà vu dans certaines manifestations qui pourrait être synonyme de résistance, ne plus se laisser malmener.

La Police s’en mêle, et son haut commandement- qui jusque-là était plutôt passif, appelle à consolider le mariage Police-population pour lutter contre le banditisme, et peut- être mettre un frein aux exécutions sommaires.

Les barricades se sont consolidées cette semaine de Port-au-Prince alors que les brigades d’autodéfense poursuivent les sièges de leurs différents quartiers afin d’en protéger les entrées et sorties.

On peut constater que depuis lors, il n’y a pas de kidnappings et on n’entend plus de tirs, sauf ceux de la Police et leurs engins lourds.

La question que tout le monde se pose désormais est la suivante : est-ce que la police va enfin intervenir et être capable de déloger et contrôler certains groupes criminels de Martissant ou de Village de Dieu?

Ces deux quartiers sont les fiefs de gangs puissants et alliés qui bloquent le sud de la capitale depuis près de deux ans, kidnappent, volent et violent en semant la terreur.

Mais rien n’est encore gagné : les bandits-si certains ont fui en province et d’autres ont été abattus par la Police- sont encore là et armés. Un calme apparent règne.

Le mouvement « BWA KALE » se développe dans toutes les régions où les criminels s’enfuient; de nombreuses mairies lancent des appels à la population pour dénoncer et contrôler les inconnus qui arrivent dans leur circonscription.

Communiqué de la mairie d’Acquin(sud): « Dans le souci que nous avons pour la sécurité des personnes qui vivent dans la commune contre les bandits qui commence à nous envahir, la Mairie ensemble avec les autorité locales, les autorités judiciaire, et autorités politique a pris les décisions suivantes : 1- Personne ne peut recevoir un inconnu chez soit ; 2- Avant qu’une personne ne reçoive un proche ou un inconnu elle doit passer sans délai au poste de police avec la personne ; 3- Toutes personnes qui vient de revoir chez elle un proche ou un inconnu doit passer sans délai au Commissariat d’Aquin ou chez un CASEC avec cette personne ; 4- Toute personne qui voit un inconnu dans sa zone ou chez un voisin doit rapidement avertir les autorités de la section ou les autorités de la ville. (l’un veille sur l’autre) ; 5- Aucun taxi ne doit transporter une personne qui n’a pas de pièce d’identité sur elle pour l’identifier.

Le gouvernement reste assez silencieux à ce propos-ainsi que la communauté internationale- mais la population retrouve un peu d’énergie, de fierté et d’espoir, tout en condamnant le Premier ministre pour son incapacité à résoudre les problèmes, son alliance avec les gangs, en ne contrôlant pas les armes et munitions distribuées, voir en alimentant eux-mêmes les gangs- avec la participation d’une partie d’un secteur privé rétrograde et corrompu.

Où tout cela nous mènera –t-on ???….Un peu tôt pour le dire, mais une lueur d’espoir germe, un enthousiasme gagne les cœurs et esprits tourmentés depuis au moins deux ans par cette descente aux enfers sans nom.

Est –il encore possible de contrecarrer la chute et remonter une pente raide et glissante?

Mais comme dit le grand poète haïtien :

« S’il arrive que tu tombes, apprends vite à chevaucher ta chute, que ta chute devienne cheval pour continuer le voyage »

Frankétienne, Anthologie de poésie haïtienne contemporaine