Les chroniques de Jorel François

Directeur du Centre Lacordaire

Catastrophes dans le bassin de Port-au-Prince

 

Il y a eu le Fort-Dimanche, qui faisait la terreur des opposants du régime des Duvalier et ses Tontons Macoutes. Il y a eu la catastrophe bien connue provoquée par le tremblement de terre de 2010. On est au courant pour les troubles politiques, les cyclones périodiques, les uns toujours plus meurtriers que les autres. Il faut désormais ajouter aussi à cette liste le fléau des gangs armés, peut-être encore moins connu, parce que récent, mais qui fait tout autant de dégâts. S’ils sont récents dans le pays, ces gangs ne sont pas moins les résultats de pratiques douteuses, voire mafieuses, une conséquence de la haine de l’homme pour l’homme.

Il n’est alors pas tout à fait question ici des premières catastrophes mais de cette dernière, de quelques-unes de ses éventuelles causes et conséquences.

Les rues de Port-au-Prince sont depuis quelques mois désertes. Par certains endroits, c’est même la nature, qui a repris ses droits. De la broussaille sur ce qui reste d’asphalte, des arbustes. Pas une ombre de vie humaine ou presque. La plupart des gens, dans certains quartiers de la Capitale, ont vidé les lieux quand elles ont eu le temps et la possibilité de le faire. D’autres ont été simplement massacrées ou séquestrées en attendant une rançon qui désormais arrive de moins en moins facilement. Il ne faut pas qu’il y ait âme qui vive dans le bassin de Port-au-Prince. On veut l’espace, le sol et le sous-sol, et probablement toute la baie qui permet d’avoir une vue sur le Canal du Vent, lieu de passage de bateaux qui descendent vers le Canal de Panama. Des motifs géostratégiques et/ou la perspective de pouvoir exploiter le sous-sol, comme beaucoup désormais le disent, exploiter le pétrole, extraire du cobalt, de l’iridium…, et tout cela sur fond de ce désastre humain.

L’avenir dira sans doute s’il n’y a pas un lien possible entre cette catastrophe et le gaspillage de l’argent du programme Pétro Caribe. Pareillement, il permettra de se rendre compte si certains des motifs pour lesquels Port-au-Prince n’a pas été reconstruite, suite au tremblement de terre de 2010, ne sont pas à inscrire dans ces perspectives. On comprendra du même coup pourquoi l’argent collecté afin de reconstruire le pays a été gaspillé ou retourné vers les grands centres chargés de le répartir, alors que d’un autre côté on a encouragé la mise en place de nouveaux bidonvilles comme Canaan et autres devenus aujourd’hui des guets-apens, des coupe-gorge, des repaires imprenables pour des bandits armés. Peut-être y découvrira-t-on aussi un certain lien entre ces perspectives et le choléra rapporté par des agents onusiens, l’entassement de certain type de population et, d’un autre côté, ce dépeuplement forcé, ou même, comme le disent aussi

certains, entre le tremblement de terre de 2010 qui, non seulement a fauché la vie de tant de nos frères et de nos sœurs, mais encore a donné lieu depuis à des répliques incessantes, tout à fait atypiques dans l’histoire récente de la zone…

Ce tremblement de terre aussi a changé le destin de cette partie de l’Île, ou plutôt il l’a rendu encore plus tragique.

L’hypothèse d’un tremblement de terre provoqué ferait évidemment penser à la théorie du complot, mais quand on voit tout ce qui se fait depuis pour en finir avec la vie humaine sur ce coin de terre, on peut en finir par se dire : pourquoi pas… ? Après tout, il existerait des armes aujourd’hui capables de provoquer de telles catastrophes…

Dira-t-on que le monde est trop gentil pour commettre de telles atrocités… ?

Ce serait se méprendre sur ce dont l’homme est capable. Ce serait oublier la Shoa, Hiroshima et Nagasaki ou encore le napalm ou l’agent orange déversé à souhait lors de la guerre au Vietnam par exemple. Ce serait oublier le désastre actuellement en cours au Congo, qui est à l’œuvre depuis une trentaine d’années, sans que pas grand monde n’en parle, pendant que l’or, le diamant et d’autres métaux rares en provenance de ces terres suivent gentiment leur cours sur le marché international. Ce serait oublier le tout récent sabotage du North Stream…

Si certains actes, comme le sabotage en 2022 des deux gazoducs Nord Stream, sont encore possibles alors qu’ils touchent des États puissants…et concernent l’écosystème, patrimoine de l’humanité si menacé, pourquoi épargnerait-on un petit pays comme Haïti…et quelques millions de nègres ?

On va vous séquestrer, vous violer, vous rançonner ou simplement vous tuer, en tout cas, vous rendre la vie impossible, car si vous avez été à l’école, si vous savez lire et écrire, si vous avez un diplôme et que vous êtes encore sur place, c’est que vous n’avez rien compris, ou si vous avez compris, c’est que vous faites de la résistance et que de toute façon, dans un cas comme dans l’autre, vous avez tort…

Voilà des années déjà depuis qu’on vous appelle et vous invite à vider les lieux, à quitter ce pays de maudits, à émigrer et aller vous installer ailleurs… au Canada, et aujourd’hui, aux États-Unis avec le programme Biden, alors que, d’un autre côté, on vous achète vos terres…, on vous prend vos îles…et vous semblez n’en avoir rien compris…

Tant pis pour vous qui avez fait le choix de rester sur place, pensant que vous le pouviez parce qu’il s’agissait de votre pays…et que par conséquent, vous avez le droit d’y rester, et de choisir de ne pas partir parce qu’il s’agit de chez vous.

Ne l’avez-vous donc pas encore compris ? La descente aux enfers d’Haïti ne date pas du tout d’aujourd’hui, mais commence sans doute avec la non-reconnaissance de son Indépendance, et le pillage de ses campêches, de ses denrées, et se poursuit avec la remise en question du principe de l’unité de l’Île, en passant par l’assassinat même du Père de l’Indépendance… ?

L’éclatement du pays en plusieurs États, son démantèlement comme État-Nation…, tout cela a sans doute pris du temps, mais n’a-t-il pas pu être réalisé, et l’œuvre n’est-elle pas en train d’être finalisée?

Plus d’un des fils et filles du pays n’ont-ils pas été au courant de cet agenda, qui a certes évolué, mais qui a débouché ou, à défaut, qui est tout à fait en voie de déboucher sur ce qui avait été souhaité, envisagé ? Par ailleurs, plus d’un n’ont-ils pas collaboré ou ne collaborent-ils pas encore activement à sa réalisation?

Autour des années 2004-2006, Gérard Latortue, alors premier ministre parachuté des États-Unis, l’avait affirmé sur une radio de Port-au-Prince, suite au deuxième coup d’État perpétré contre Aristide, je restitue de mémoire : « konnen nou pa konnen ki sa yo prepare pou nou… e ki efò m’ap fè pou protégé nou ». Traduction : « C’est dommage que vous ne soyez pas au courant de ce qui se trame contre vous, et de tout ce que je suis en train d’entreprendre, de négocier pour vous en préserver… ».

Gérard Latortue n’était pas un idiot, il n’était pas un illuminé, il n’était pas non plus en train de regarder dans une boule de cristal. Il savait tout à fait ce qu’il disait…, et la plupart de ceux qui, ces derniers temps, ont occupé les hautes fonctions de l’État n’en savaient sans doute pas moins que lui.

Alors qu’on s’égosille ad nauseam et s’acharne à affirmer qu’Haïti est le pays le plus pauvre du continent, sans qu’on ne donne les raisons de cet appauvrissement entretenu, sans qu’on n’explique que c’est au moins depuis que sa réserve d’or a été emportée par les États-Unis d’Amérique, Haïti, en plus d’être un lieu stratégique dans la Caraïbe, a du pétrole. C’est désormais public : les premières recherches en la matière, conduisant à des résultats positifs, auraient eu lieu dans les années 1940 sous la présidence de Dumarsais Estimé. Et tout porte à croire que ces résultats ont été confirmés encore tout récemment. Le pays a été exploré, cartographié sans grand bruit par des experts qui ont sans doute reconnu, eux aussi, qu’en plus du pétrole, le sous-sol haïtien héberge des minerais importants : de l’uranium, de l’iridium, de l’or, du cobalt… Et des contrats d’exploitation auraient même été en voie d’être signés avec des compagnies étrangères.

Peut-être faut-il voir là l’une des raisons du désastre actuel, de cette violence organisée, de ce dernier gâchis en vies humaines… ?

Pourquoi ne négocierait-on pas avec l’État haïtien, si tant est qu’il existe ou qu’il ait jamais existé, le déplacement de la population et l’exploitation en bonne et due forme des ressources présentes dans ces terres… ?

Pourquoi préfère-t-on armer des bandits qui, pour donner la chasse à la population, rançonnent, violent et tuent…en toute impunité parce qu’ils savent qu’ils sont couverts et qu’aucun compte ne leur sera demandé?

Serait-ce simplement parce que, comme c’est le cas au Congo et dans le reste de l’Afrique subsaharienne, la vie du Noir ne compte pas… ?

Suite aux terreurs dont Carrefour-Feuilles a été l’objet à la veille du vote qui n’avait pas eu lieu le 22 septembre dernier à l’ONU, où l’on devait décider de l’envoi d’une force officiellement en soutien à la police en Haïti, qui est une création de certains milieux de la Communauté internationale; suite aux violences dont ont été victimes les habitants de Saut-d’Eau et de Mirebalais pendant la semaine du 20 septembre dernier, sachant que même l’hôpital universitaire de la ville n’a pas été épargné, le 02 octobre dernier, le Conseil de sécurité des Nations Unies a voté une résolution autorisant le déploiement pour un an de la dite force. Sur les quinze membres alors présents : treize ont voté pour, la Chine et la Russie se sont abstenues. Voilà qui met fin à environ un an de tergiversations à ce propos.

Cela étant, aucun détail n’a été fourni quant au calendrier de ce déploiement ni aux modalités de l’intervention. Il n’est vraisemblablement pas dit non plus qu’il s’agira d’aider à garantir la sécurité des vies et des biens de la population locale.

Il est dit en revanche que la force en question ne sera pas onusienne, ce qui laisse vraisemblablement le champ libre aux acteurs impliqués de pouvoir attaquer et non se contenter, comme les soldats onusiens, de répliquer en cas d’éventuelles agressions. Se dessine alors la possibilité d’affrontements officiellement contre les gangs armés, ce qui veut dire, en termes clairs, plus de sang versé encore du côté haïtien.

Certains ont fait état de pillage de ressources locales, de cas de viols…lors des récentes interventions. Rien ne garantit qu’il n’en soit pas encore le cas cette fois-ci.

Tout compte fait, il faudra qu’un jour une commission indépendante puisse évaluer le travail des Nations Unies dans certains milieux dans le monde et en particulier en Haïti, comme l’ont demandé les signataires de la lettre ouverte aux chefs d’État et de gouvernement des pays frères

d’Afrique publiée au Rezo Nodwès le 10 août 2023, ou encore comme l’ont insinué d’autres groupes comme l’Association Haïtienne des Philosophes pour l’Évolution d’Haïti signataire de la lettre ouverte adressée le 20 aout 2023 aux Membres du Conseil de Sécurité des Nations Unies à propos du Kenya alors pressenti comme tête de pont de l’action militaire que l’Internationale agitait depuis un certain temps contre Haïti…